Pour mieux comprendre la différence entre les statistiques d’usage parfait et celles d’usage courant, il est intéressant d’explorer les facteurs d’efficacité, dont les intentions de procréation en regard du comportement. Comme toutes les méthodes contraceptives non-chirurgicales et non-hormonales, la méthode symptothermique intervient dans le comportement sexuel du couple. Demandant de modeler ce dernier selon les informations cycliques relatives à la fertilité, elle intervient dans un champ qui a son propre dynamisme. À certains moments, le désir sexuel est confronté à la question : sommes-nous fertiles aujourd’hui? En cas de signes de fertilité, des couples pour qui une grossesse n’est pas envisageable auront tendance à attendre un moment plus propice pour un coït et à explorer les relations non génitales. D’autres prendront consciemment un risque calculé. Et ceux dont l’attitude est ambivalente pourront peut-être « prendre une chance », comme il a été démontré avec n’importe quel contraceptif non hormonal (1). Comme en témoignait une femme à Seréna récemment, la ligne est mince entre retarder une future grossesse désirée parce que les conditions ne sont pas tout à fait idéales dans le moment, et décider spontanément de « prendre le risque, puisqu’on en désire une de toute façon ».
On trouve une autre illustration de l’influence de la motivation sur le succès d’une méthode naturelle chez Fehring (2). Il a demandé aux hommes aussi bien qu’aux femmes d’évaluer au début de chaque cycle combien ils désiraient éviter la conception, à l’aide d’une échelle reconnue en démographie. Il trouva qu’en un an, il y eut 80% de plus de probabilité de grossesse chez les peu motivés. Stanford et Porucznik (3) explorent aussi la relation entre les comportements et les intentions reproductives. Déjà, l’influence de la motivation sur l’efficacité de la méthode symptothermique avait été démontrée par les résultats de l’étude de Rice (4). La différence des taux de grossesse entre les couples désirant seulement retarder la prochaine grossesse et ceux qui n’en voulaient plus a été de 15 à 5 pour les 5 pays et de 12 à 1 pour le Canada.
Cette question de la motivation en matière de reproduction en regard de l’usage des méthodes contraceptives a été étudiée par de nombreux chercheurs. Les recherches les plus récentes sur le sujet s’intéressent à l’interaction des motivations personnelles des partenaires intervenant dans les décisions et comportements des couples (5).
Il arrive que la motivation d’éviter la grossesse ne soit pas symétrique dans le couple (6). Dans certains cas, elle peut être plus forte chez la femme que chez l’homme. C’est elle qui subit les inconvénients physiques de la grossesse et de l’accouchement. Et même si les pères contemporains sont plus présents aux soins des enfants que ceux d’autrefois, les femmes continuent souvent de porter le gros des tâches familiales (7). En pratique, c’est comme si la difficile conciliation travail-famille ne s’appliquait qu’à elles. Elles sont parfois si absorbées à répondre aux exigences du travail en même temps qu’aux besoins de la maisonnée qu’il ne leur reste plus de disponibilité pour leurs propres besoins; elles ne sont pas prêtes à l’investissement supplémentaire d’une grossesse et d’un enfant. Inversement, il se peut aussi que la motivation soit plus forte chez l’homme, s’il trouve difficile d’assumer l’activité et les responsabilités de la maisonnée avec un enfant (ou un enfant de plus) par rapport à ses activités professionnelles et ses besoins personnels.
Quoi qu’il en soit, lorsque la motivation n’est pas partagée également, et qu’on ne prend pas le temps de s’en parler, c’est un terrain favorable pour la « prise de risque » dont parlent les chercheurs. Pour la méthode symptothermique comme pour toutes les méthodes qui supposent une modulation du comportement sexuel, il est évident qu’à défaut de motivation égale, il faut clarifier les intentions de chacun, sans quoi les tiraillements entre l’un et l’autre mettront en danger soit l’harmonie dans le couple, soit l’adhérence aux règles de la méthode préalablement choisie. Hartmann (8) décrit l’interrelation entre la communication dans le couple et le succès de la contraception.
Tous les chercheurs ayant évalué l’efficacité des méthodes physiologiques pour éviter la grossesse mentionnent invariablement dans leurs conclusions que l’entente dans le couple et le support mutuel sont des facteurs déterminants d’efficacité, aussi bien que de satisfaction.
Souhaitant un partage plus équitable des responsabilités avec leur partenaire, il y a des femmes ayant porté seules dans le passé la responsabilité de la contraception qui sont attirées vers une méthode physiologique parce qu’elle dépend justement du partage pour être efficace et satisfaisante. C’est cette invitation à la communication entre conjoints inhérente au choix d’une méthode physiologique que l’équipe de Malarcher (9) souligne comme avantage des méthodes basées sur l’observation du cycle. Cependant, si la femme est la seule à en apprendre le fonctionnement, à faire ses observations et ses enregistrements, à comprendre la signification de ses signes et qu’elle doit avertir son conjoint que « c’est le bon temps » ou que « ce n’est pas le bon temps », on a encore un déséquilibre. Des chercheurs de l’université Georgetown (10), à la fin d’une étude clinique sur deux méthodes récentes basées sur l’observation des cycles, concluent : « Les résultats confirment l’importance de la coopération entre les partenaires pour l’usage correct de la méthode. […] Les programmes offrant ces méthodes peuvent aider les couples à faire face à d’éventuelles difficultés dans l’utilisation correcte des méthodes en incluant le partenaire masculin et l’encourageant à participer aux sessions de formation Pour toutes les méthodes de planification des naissances, d’ailleurs, les chercheurs ont trouvé de meilleurs résultats lorsque les hommes sont impliqués dès le début (11). Le Projet FACT (Fertility Awareness for Community Transformation) (12) de l’Institut de Santé reproductive de l’université Georgetown a publié en 2017 un document d’analyse des expériences des couples dans les interventions en planification familiale et plus largement en santé reproductive. Les avantages trouvés sont une plus grande efficacité pratique de la contraception, une meilleure collaboration des partenaires masculins, une meilleure compréhension et un soutien réciproque amélioré dans les couples, en plus d’une influence positive sur la société de la participation des hommes à la planification familiale et à la santé reproductive. C’est pourquoi Seréna invite les deux partenaires à apprendre la méthode symptothermique ensemble. L’homme qui sera impliqué dans leur application y sera d’autant plus à l’aise qu’il en aura appris «de première main» les fondements et les modalités. Il y a des couples qui s’entendent pour que ce soit l’homme qui inscrit la température. Ce peut être lui aussi qui inscrit le soir les observations de la journée que la femme lui transmet. Ainsi il comprend de lui-même si la phase actuelle est fertile ou non, sans que la femme ait besoin de le lui préciser. Aussi, l’homme pourra plus naturellement soutenir sa compagne lors des moments de lassitude ou de débordement, quand l’observation des signes ou leur inscription risquent d’être négligées. Les deux ont avantage à ce que ça fonctionne…
Extrait du livre La fertilité apprivoisée de Dre Suzanne Parenteau
Sources :
1 – KNIGHT, Jane. The Complete Guide to fertility Awareness, Londres et New York, Routledge, p. 6-7.
2 – FEHRING, Richard, Mary SCHNEIDER, Mary Lee BARRON et al. «Influence of Motivation on the Efficacy of Natural Family Planning». MCN The American journal of maternal/ child nursing, 2013, 38, 6: 352-358.
3 – STANFORD, Joseph B., Christina A.PORUCZNIK. «Enrollment, Childbearing Motivations, and Intentions of Couples in the Creighton Model Effectiveness, Intentions, and Behaviors Assessment (CEIBA) Study». Frontiers in Medicine, 2017, 4: 147. https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC5596066/
4 – RICE, Frank, Claude A. LANCTOT et Consuelo GARCIA-DEVESA. «Effectiveness of the sympto-thermal method of natural family planning: an international study», International Journal of Fertility, 1981, 26, 3: 222-230.
5 – HUTTEMAN, Roos, Wiebke BLEIDORN, Lars PENKE et al. «It Takes Two: A Longitudinal Dyadic Study on Predictors of Fertility Outcomes», Journal of Personality, 2013, 81, 5: 487-498.
6 – TESTA, Maria Rita, Laura CAVALLI et Alessandro ROSINA. «The Effect of Couple Disagreement about Child-Timing Intentions: A Parity-Specific Approach», Population and Development Review, 2014, 40, 1:31-53.
7 – MOYSER, Melissa, Amanda BURLOCK. «Emploi du temps: la charge de travail totale, le travail non rémunéré et les loisirs». Statistique Canada, 2018. No 89-503-X au catalogue.
8 – HARTMANN, Myriam, Kate GILLES, Dominick SHATTUK et al. «Changes in Couples’ Communication as a Result of a Male-Involvement Family Planning Intervention», Journal of Health Communication, 2012, 17, 7: 802-819.
9 – MALARCHER, Shawn, Jeff SPIELER, Madeleine Short FABIC et al. «Fertility awareness methods: distinctive modern contraceptives». Global Health Science and Practice. 2016; 4, 1: 13-15. http://dx.doi.org/10.9745/GHSP-D-15-00297 .
10 – SINAI, Irit, Victoria JENNINGS et Marcos ARÉVALO. « Fertility Awareness-Based Methods of Family Planning: Predictors of Correct Use», International Family Planning Perspectives, 2006, 32, 2: 94-100.
11 – GIBBS S, MOREAU C. «Perceived partner fertility desires and influence on contraceptive use, The European Journal of Contraception and Reproductive Health Care, 2017,22, 4: 310-315.
12 – INSTITUTE FOR REPRODUCTIVE HEALTH, GEORGETOWN UNIVERSITY. Couple’s counseling in Reproductive Health. A review of the literature, Washington, DC, FACT PROJECT, Institute for Reproductive Health, Georgetown University, 2017, 49 pages.