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Intolérances alimentaires et fertilité

Dre Suzanne Parenteau
Dre Suzanne Parenteau

Aussi surprenant que cela puisse paraître, il existe des liens entre des intolérances alimentaires et l’infertilité. Des personnes diagnostiquées comme infertiles ont obtenu une grossesse après l’adoption d’une diète dépourvue des aliments auxquels elles étaient intolérantes (1), (2), (3). À cause de l’état généralisé d’inflammation qu’elles génèrent, les intolérances/sensibilités alimentaires affectent la fécondabilité de l’ovule, sa nidation et le maintien de la grossesse.

Maladie céliaque et intolérance au gluten

C’est bien connu que la maladie céliaque est souvent accompagnée de problèmes reproducteurs : irrégularité menstruelle due à de longues périodes sans ovulation, infertilité (4), fausses couches, prématurité et anomalie du sperme chez les hommes. La maladie céliaque est une maladie auto-immune (où l’organisme se combat lui-même par des anticorps) caractérisée, chez les personnes prédisposées génétiquement, par une intolérance au gluten, cette protéine abondante dans le blé, l’orge et le sarrasin. Il existe aussi des allergies franches au blé. Ces deux affections se manifestent principalement par des symptômes gastro-intestinaux et relèvent justement d’une trop grande perméabilité de la paroi intestinale qui laisse passer dans le sang des substances causant des réactions nocives. Elles sont reconnues par des tests reposant sur des anticorps spécifiques (tTg et IgE respectivement) et les patients sont soulagés s’ils adoptent une diète sans gluten. Aussi, devant la popularité des diètes sans gluten, supérieure à la fréquence de la maladie céliaque et de l’allergie au blé, plusieurs affirment qu’elles sont inutiles si les tests spécifiés ici ne sont pas positifs. Cependant plusieurs recherches récentes confirment l’existence de l’intolérance non céliaque au gluten : INCG (en anglais : NCGS Non-Celiac Gluten Sensitivity) (5), (6). Il n’existe pas encore de test de laboratoire spécifique reconnu, quoique Caio (7) a souvent trouvé des anticorps antigliadine de classe IgG chez les patients souffrant de sensibilité non céliaque au gluten, disparaissant à la suite d’une diète stricte de plusieurs mois sans gluten. En plus, ou à la place, des symptômes gastro-intestinaux, cette affection se manifeste souvent par des symptômes non digestifs : fatigue chronique, démangeaisons, douleurs musculaires et articulaires, perte de poids, sensation d’«esprit brumeux » (foggy mind) et réaction respiratoire ou cutanée. Les personnes affectées se disent soulagées de leurs symptômes lors de l’adoption d’une diète sans gluten et voient le retour de leurs symptômes lors de la réintroduction du gluten (challenge test) (8),(9).

Dans certains cas de problèmes gastro-intestinaux, l’intolérance peut ne pas concerner le gluten directement, mais d’autres substances glucidiques ou fibreuses fermentescibles présentes dans les mêmes céréales que le gluten, et donc évitées dans la même diète (10).

Les intolérances alimentaires, incluant les allergies, ne se limitent pas au gluten. Elles peuvent être reliées au lactose ou à la caséine du lait, à certains fruits, mollusques et crustacés, noix et aliments divers. Leur rapport à la fertilité, surprenant au premier abord, s’explique par un état généralisé d’inflammation (11) qui déborde le système gastro-intestinal, touchant également le système génital, chez l’homme comme chez la femme. La recherche récente sur le microbiote, cette armée de micro-organismes variés qui habite sur et dans notre corps, apporte un éclairage sur ce phénomène. Il remplit diverses fonctions, contrôlant l’acidité, fournissant des nutriments cellulaires, influençant l’immunité et l’inflammation. Grâce au projet microbiote humain, Sirota (12) et Franasiak (13) décrivent quels types de populations microbiennes génitales fournissent un environnement favorable ou non aux spermatozoïdes, à la fécondation et à la nidation. Haahr (14) a étudié la population microbienne vaginale de 130 femmes devant subir la fécondation in vitro. Alors que le taux général de grossesses fut de 35 %, il ne fut que de 9 % chez les femmes dont la flore vaginale était anormale. La composition de cette flore est reliée de quelque façon à l’alimentation, et en particulier aux intolérances alimentaires.

Expérience de la docteure Barras-Kubski (15)

Dre Tatjana Barras-Kubski, médecin omnipraticienne et homéopathe suisse, spécialiste des méthodes naturelles de gestion de la fertilité, s’est intéressée aux intolérances alimentaires chez les couples qui la consultent pour infertilité, prématurité ou fausses couches à répétition. Le questionnaire systématique révèle une grande fréquence chez les femmes, et à un moindre degré chez les hommes, d’un ou plusieurs symptômes se présentant immédiatement lors de l’absorption de certains aliments ou au cours des heures qui suivent. Ce peut être, par exemple, des ballonnements, malaises à l’estomac, perte subite d’appétit dès le début du repas, diarrhée ou constipation ou alternance des deux, grande fatigue, démangeaisons généralisées ou au cuir chevelu, écoulement nasal liquide instantané ou toux d’irritation en l’absence de rhume, sécrétions post-nasales s’écoulant dans la gorge…L’examen montre souvent une peau sèche présentant des sortes de petites écailles aux jambes, que le généticien T. Nawrocki a associées au terrain psoriasique et à l’endométriose. Les tests de laboratoire montrent souvent une insuffisance de ferritine (protéine liée au fer) et de vitamine B12, ainsi que la présence d’anticorps tels que l’IgA anti-transglutaminase, anti-gliadine, anti-caséine et anti-endomysium.

Dre Barras-Kubski est frappée par la fréquence des intolérances alimentaires chez les femmes souffrant d’endométriose, de dysménorrhée, de tension prémenstruelle sévère, et à un moindre degré, du syndrome des ovaires polykystiques, ainsi que chez les hommes dont les tests de sperme ont montré des déficiences.

Il existe des allergies/intolérances/sensibilités à plusieurs aliments, mais les plus fréquentes se rapportent au gluten et aux produits laitiers, principalement de vache. Il est facile de remédier à l’intolérance au lactose (sucre du lait) par l’addition de lactase (enzyme qui permet de digérer le lactose) par l’industrie ou par le consommateur. Par contre, il n’y a pas de remède facile pour les intolérances aux protéines du lait, sauf l’abstention.

Dre Barras-Kubski propose à ses patients chez qui on soupçonne une intolérance de confirmer celle-ci par des diètes d’exclusion. Éviter le gluten pendant 3 semaines. S’il y a amélioration, en consommer une fois une bonne quantité – challenge test – pour constater si les symptômes reviennent, dans quel cas on a identifié le gluten comme la cause du problème. S’il n’y a pas d’amélioration, éviter en plus les produits laitiers pendant 3 semaines supplémentaires, puis en consommer, encore pour constater si les symptômes reviennent. Si on soupçonne, au premier abord, les produits laitiers, inverser les aliments à exclure dans ce qui précède. Dans les deux cas, il est bon aussi de restreindre les aliments acidifiants, comme la viande rouge, le sucre, le thé noir, le café et le chocolat, car ils favorisent l’inflammation et d’augmenter la consommation d’aliments alcalinisants comme le riz, la pomme de terre, l’oignon, l’ail et les légumes feuillus. De plus, les personnes qui souffrent d’acidité gastrique doivent vérifier leur tolérance aux aliments provoquant la libération d’histamine : tomates, vin rouge, bière, fruits de mer. Le principe de l’exclusion totale de l’aliment causant l’intolérance et de la réduction acide est de permettre à l’inflammation du tube digestif et du système génital de guérir. Après 3 à 6 mois, de petites quantités de l’aliment incriminé pourront souvent être tolérées 1 ou 2 fois par semaine. Car malgré les restrictions sélectives, il est important à long terme de s’assurer d’une alimentation équilibrée et variée offrant tous les éléments nécessaires à la santé (16).

Aux couples hypofertiles avec intolérances, on prescrit, aux hommes comme aux femmes : des huiles pressées à froid, principalement de tournesol, canola, et d’olive (1 cuillérée à table par jour), et des huiles de poisson, de graines de lin ou de noix pour les oméga-3; un complexe de vitamines B, et de la B12 si les tests ont montré une déficience; un complexe vitamines-minéraux comportant du magnésium et du zinc; de la ferritine. Attention, car la diète sans gluten, supprimant les microsaignements intestinaux qui étaient reliés à l’intolérance, peut entraîner un surplus de fer.

Selon l’expérience de la docteure Barras-Kubski, plusieurs couples ayant attendu une grossesse pendant des mois ou années réussissent à l’obtenir après 9 à 36 mois de diète excluant l’aliment source d’intolérance et limitant les aliments acidifiants. Cependant, il s’est produit un taux élevé de fausses couches si la conception s’est réalisée au début de la nouvelle diète. Paradoxalement, on suggère à ces couples désireux d’une grossesse d’éviter la conception pendant les 3 premiers mois de changement de diète. L’inflammation utérine n’est probablement pas encore complètement guérie et nuit à la santé du placenta.

Non seulement l’hypofertilité, mais aussi la tension prémenstruelle et la dysménorrhée répondent bien aux diètes restrictives quand une intolérance alimentaire est identifiée. De même, ces diètes peuvent aider à contrôler les vulvo-vaginites et cystites, les nausées et la prise de poids exagérée pendant la grossesse, la dépression post-partum et aussi les coliques du bébé pendant l’allaitement.


Extraits du livre La fertilité apprivoisée de Dre Suzanne Parenteau, en vente sur notre boutique en ligne.

Sources de l’extrait :

  • 1) BOLD, J et K. ROSTAMI. «Non-coeliac gluten sensitivity and reproductive disorders», Gastroenterology and Hepatology from Bed to Bench, 2015, 8, 4: 294-297.
  • 2) BARRAS-KUBSKI, T. Hypofertilité et sensibilités / intolérances alimentaires: Y a-t-il des arguments forts pour l’existence de liens ?, Exposé au Congrès de L’INSTITUT EUROPÉEN D’ÉDUCATION À LA VIE FAMILIALE, Milan, Juin 2015.
  • 3) WASILEWSKA, J., KACZMARSKI, M. et WASILEWSKI, T. «Immunological and non-immunologinal approaches to dietetic interventions in infertility treatment», Sveikatos Mokslai, 2011, 21, 3: 40-44.è
  • 4) CHOI, J. M., B. LEBWOHL, J. WANG et al. « Increased prevalence of celiac disease in patients with unexplained infertility in the United States», Journal of Obstetrics and Gynecology for the Obstetrician and Gynecologist, 2011, 56, 3: 199-203.
  • 5) VOLTA, Umberto, Giacomo CAIO, Roberto De GIORGIO, et al. «Non-celiac gluten sensitivity: A work-in-progress entity in the spectrum of wheat-related disorders», Best Practice and Research: Clinical Gastroenterology, 2015, 29, 3: 477-491.
  • 6) SAPONE, Anna, Julio C. BAI, Carolina CIACCI, et al. «Spectrum of gluten-related disorders: consensus on new nomenclature and classification», BMC Medicine, 2012, 10, 1: 13.
  • 7) CAIO, Giacomo, Umberto VOLTA, Francesco TOVOLI et al. «Effect of gluten-free diet on immune response in patients with NCGS», BMC Gastroenterology, 2014, 14, 1: 26.
  • 8) CAPANNOLO, Annalisa, Angelo VISCIDO, Mohamed Ali BARKAD et al. «NCGS among patients perceiving gluten related symptoms», Digestion, 2015, 92, 1: 8-13.
  • 9) ELLI, Luca, Carolina TOMBA, Federica BRANCHI et al. «Evidence of the presence of NCGS in patients with functional gastrointestinal symptoms: Results from a multicenter, randomized, double-blind, placebo-controlled gluten challenge», Nutrients, 2016, 8, 2: 84. doi: 10.3390/n u8020084.
  • 10) BIESIEKIERSKI, Jessica R., Simone L. PETERS, Evan D. NEWHAM et al. «No effect of gluten in patients with self-reported NCGS after dietary reduction of fermentable, poorly absorbed, short-chain carbohydrates», Gastroenterology, 2013, 145, 2: 320-328. e3.
  • 11) CLANCY, K. B. H et K. E. TRIBBLE. «Pro- and anti-inflammatory food proteins and their impact on maternal ecology», American Journal of Physical Anthropology, 2011, 144: 109.
  • 12) SIROTA, Ido, Shvetha M. ZAREK, James H. SEGARS, et al. «Potential Influence of the Microbiome on Infertility and Assisted Reproductive Technology», Seminars of Reproductive Medicine, 2014, 32, 1:35-42. Doi: 10.1055/s-0033-1361821.
  • 13) FRANASIAK, Jason M. et Richard T. SCOTT. «Reproductive tract microbiome in assisted reproductive technologies», Fertility and Sterility, 2015, 104, 6: 1364-1371.
  • 14) HAAHR, T., J. JENSEN, I. THOMSEN et al. «Reproductive tract microbiome in assisted reproductive technologies», Human Reproduction, 2016, 31, 4: 795-803.
  • 15) BARRAS-KUBSKI, Tatiana et René ÉCOCHARD. «Sub-fertility and food sensitivities: Are there strong arguments for existing links?» Article non publié, 2017, 7 pages.
  • 16) LOMER, M. C. E. «Review article: The aetiology, diagnosis, mechanisms and clinical evidence for food intolerance», Alimentary Pharmacology and Therapeutics, 2015, 41, 3: 262-275.